Et si on fermait la Bourse..., par Frédéric Lordon (Le Monde diplomatique) - 0 views
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Le SLAM (Shareholder Limited Authorized Margin ou marge actionnariale limite autorisée) est une idée (3). L’abolition de la cotation en continu, et son remplacement par un fixing mensuel ou plurimestriel, en est une autre (4). Vient toutefois un moment où l’on envisage la question autrement : et fermer la Bourse ?
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Sur le papier, le plan d’ensemble ne manquait pas d’allure. Des agents (les épargnants) ont des ressources financières en excès et en quête d’emploi, d’autres (les entreprises) sont à la recherche de capitaux : la Bourse est cette forme institutionnelle idoine qui mettrait tout ce beau monde en contact et réaliserait la rencontre mutuellement avantageuse des capacités de financement des uns et des besoins des autres.
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La Bourse finance les entreprises ? Au point où on en est, ce sont plutôt les entreprises qui financent la Bourse !
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Dorénavant, ce qui sort des entreprises vers les investisseurs l’emporte sur ce qui fait mouvement en sens inverse... et donnait son sens et sa légitimité à l’institution boursière. Les capitaux levés par les entreprises sont devenus inférieurs aux volumes de cash pompés par les actionnaires, et la contribution nette des marchés d’actions au financement de l’économie est devenue négative (quasi nulle en France, mais colossalement négative aux Etats-Unis, notre modèle à tous (5)).
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Il y a de quoi rester interloqué devant pareil constat quand, dans le même temps, les masses financières qui s’investissent sur les marchés boursiers ne cessent de s’accroître. Le paradoxe est en fait assez simple à dénouer : faute de nouvelles émissions d’actions pour les absorber, ces masses ne font que grossir l’activité spéculative sur les marchés dits « secondaires »* (les marchés de revente des actions déjà existantes). Aussi leur déversement constant a-t-il pour effet, non pas de financer des projets industriels nouveaux, mais de nourrir la seule inflation des actifs financiers déjà en circulation. Les cours montent et la Bourse va très bien, merci, mais le financement de l’économie réelle lui devient chose de plus en plus étrangère :
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La Bourse n’est pas une institution de financement des entreprises — elles n’y vont plus sauf pour s’y faire prendre leur cash-flow* ; elle n’est pas le roc d’une « économie de fonds propres » — pour l’essentiel ceux-ci viennent d’ailleurs : des entreprises elles-mêmes ; elle n’est pas la providence qui sauve les start-up de l’attrition financière — on pourrait très bien agir autrement.Elle est une machine à fabriquer des fortunes. Et c’est tout. Bien sûr, pour ceux qui s’enrichissent, ça n’est pas négligeable. Mais pour tous les autres, ça commence à suffire.
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Fermer la Bourse n’a donc pas seulement la vertu de nous débarrasser de la nuisance actionnariale pour un coût économique des plus faibles, mais aussi le sens d’extirper l’idée de la fortune-flash, devenue référence et mobile, cela-va- de-soi pour bien-nés et normalité du « mérite », pour rappeler que l’argent ne se gagne qu’à hauteur des possibilités de la rémunération du travail, ce qui, dans le cas des individus qui nous intéressent, est déjà la plupart du temps largement suffisant. La Bourse comme miroir à la fortune aura été l’opérateur imaginaire, aux effets bien réels, du déplacement des normes de la réussite monétaire, et il n’est pas un ambitieux dont le chemin ne passe par elle — pour les autres, il y a le Loto, et pour plus personne en tout cas, rapporté à cette norme, le travail.
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"C'était il y a un peu plus d'un an : les gouvernements secouraient les banques aux frais du contribuable. Mission accomplie. Mais à quel prix ? L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) évalue à 11 400 milliards de dollars les sommes mobilisées par ce sauvetage. Soit 1 676 dollars par être humain... Mais la finance n'est pas qu'affaire de banquiers. C'est aussi celle des actionnaires. Une proposition pourrait ne pas leur plaire : fermer la Bourse.\nPar Frédéric Lordon"