Vous considérez
qu’à court terme la crise de la démocratie ne peut que s’aggraver, mais qu’en
revanche, à l’aune par exemple de l’enjeu écologique, elle peut déboucher vers
une démocratie « supérieure ». Quel contenu donnez-vous à cette
classification?
Mon optimisme à long terme repose sur un
constat: l’individu a besoin de la collectivité et ne cesse d’ailleurs
d’exprimer ce besoin. Pour preuve, la forme paroxystique de l’individualisme
contemporain n’est pas le rejet ou le mépris de la société, caractéristiques de
l’anarchisme de 1880,ou même l’autarcie. On peut la résumer à une formule: « Je
ne dois rien à la société, mais elle me doit tout ». Il faut se méfier de
certaines images d’Epinal. Par exemple, il est fréquemment évoqué la dissolution
du lien social, mais pourtant jamais ce lien n’a été aussi fort si on le mesure
au degré de dépendance des individus à leur téléphone portable… A leur échelle,
les individus expriment un désir d’équilibre entre leur affirmation
individuelle, parfaitement légitime, et celle de s’inscrire dans une communauté
où leur existence prend un sens. L’un des aspects majeurs de la privatisation
des existences, si emblématique de notre société, c’est le repli sur la famille,
donc sur les enfants. Or existe-t-il lien plus puissant avec l’humanité que
considérer que la vie ne se réduit pas à soi et se poursuit avec une descendance
qu’il faut préparer le mieux possible ? Qui donc peut rêver pour ses enfants
d’un monde infernal, pire que celui qu’il connaît ? Personne. D’ailleurs, le
pessimisme des Français est corrélé à leur peur d’un avenir moins enviable pour
leurs enfants. Finalement, la société, ce n’est rien d’autre qu’assurer la
pérennité de l’humanité. Et effectivement, la préoccupation écologique doit
constituer la forme la plus explicite de ce souci de poursuivre l’aventure
humaine.