Lorsqu’on lit, il est nécessaire d’organiser les informations présentées en les
hiérarchisant pour donner du sens au lu; sur le plan actionnel, on reconstitue
des déroulements à l’aide de catégories comme moyens et buts, motifs et mobiles,
dont l’architecture dépend de l’anticipation de la conclusion. Dans des
circonstances hypertextuelles, en l’absence de fin déterminée et déterminante,
comment le lecteur parvient-il à hiérarchiser les actions proposées: où sont les
moyens? où sont les fins? comment intégrer le divers événementiel et en faire
des synthèses? S’instance dès lors une sorte de flottement de la signification
narrative, le récit devenant l’équivalent du poisson soluble de la physique
quantique. Les fragments d’actions sont détachés sémantiquement les uns des
autres, ce qui leur donne peut-être une grande liberté, mais une très faible
valeur, au sens sémiotique du terme, celle-ci ne pouvant être attribuée que par
comparaison, par leur importance relative dans la progression du récit. Tout
s’équivaut, car tout peut occuper la place de l’autre. Le récit en fait ne
progresse plus - ce qui implique nécessairement une linéarité -, il est
simplement ouvert comme un espace, mais un espace ambigu, tel un labyrinthe,
qu’on ne peut jamais connaître en entier. Mais cet espace est marqué tout de même
par une linéarité, celle, seconde peut-être, du lecteur qui doit imposer la
sienne: la ligne de son propre cheminement, de son avancée dans la découverte
des lieux du dispositif hypertextuel. On se retrouve à nouveau dans une
situation quelque peu paradoxale où, si le lecteur progresse, le récit
hypertextuel, lui, ne le fait plus.