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Aurialie Jublin

De la tyrannie des métriques | InternetActu.net - 0 views

  • Pour Muller, nous sommes obsédés par les chiffres. Nous avons une pression irrépressible à mesurer la performance, à en publier les chiffres, et à récompenser les performances depuis ceux-ci, quand bien même l’évidence nous montre que cela ne fonctionne pas si bien. Pour Muller, notre problème n’est pas tant la mesure que ses excès. Trop souvent nous préférons substituer des chiffres, des mesures, à un jugement personnel. Trop souvent le jugement est compris comme personnel, subjectif, orienté par celui qui le produit, alors que les chiffres, en retour, eux, sont supposés fournir une information sûre et objective.
  • Trop souvent, les métriques sont contre-productives, notamment quand elles peinent à mesurer ce qui ne l’est pas, à quantifier ce qui ne peut l’être.
  • Muller montre par de nombreux exemples comment nous nous ingénions à contourner les mesures, à l’image des hôpitaux britanniques qui avaient décidé de pénaliser les services dont les temps d’attente aux urgences étaient supérieurs à 4 heures. La plupart des hôpitaux avaient résolu le problème en faisant attendre les ambulances et leurs patients en dehors de l’hôpital !
  • ...10 more annotations...
  • Pour Muller, l’obsession des métriques repose sur : la croyance qu’il est possible et désirable de remplacer le jugement acquis par l’expérience personnelle et le talent, avec des indicateurs numériques de performance comparative basés sur des données standardisées ; la croyance que rendre ces mesures publiques (c’est-à-dire transparentes) assure que les institutions effectuent leurs buts (c’est-à-dire leur responsabilité) ; la croyance que la meilleure façon de motiver les gens dans les organisations est de les attacher à des récompenses ou des pénalités depuis ces mesures de performance (que les récompenses soient monétaires ou réputationnelles)
  • Il souligne que trop souvent, on mesure le plus ce qui est le plus facile à mesurer, le plus simple. Mais c’est rarement le plus important. En mesurant le plus simple, on en oublie la complexité : ainsi quand on mesure les objectifs d’un employé, on oublie souvent que son travail est plus complexe que cela. On mesure plus facilement les sommes dépensées ou les ressources qu’on injecte dans un projet que les résultats des efforts accomplis. Les organisations mesurent plus ce qu’elles dépensent que ce qu’elles produisent.
  • Bien souvent, la mesure, sous prétexte de standardisation, dégrade l’information, notamment pour rendre les choses comparables au détriment des ambiguïtés et de l’incertitude.
  • Quant aux manières de se jouer des métriques, elles sont là aussi nombreuses : simplifier les objectifs permet souvent de les atteindre au détriment des cas difficiles ; améliorer les chiffres se fait souvent en abaissant les standards… sans parler de la triche, on ne peut plus courante.
  • C’est vraiment avec Frederick Taylor, cet ingénieur américain qui va inventer le management scientifique au début du 20e siècle, que la mesure va s’imposer. Le but même du taylorisme était de remplacer le savoir implicite des ouvriers avec des méthodes de production de masse, développées, planifiées, surveillées et contrôlées par les managers. Le Taylorisme va s’imposer en promouvant l’efficacité par la standardisation et la mesure, d’abord dans l’industrie avant de coloniser avec le siècle, tous les autres secteurs productifs.
  • Les métriques se sont imposées dans les secteurs où la confiance était faible. Les décisions humaines sont devenues trop dangereuses à mesure qu’elles impliquaient une trop grande complexité de facteurs : d’où la prolifération des métriques, des process, des règles… La demande d’un flux constant de rapports, de données, de chiffres… a finalement diminué l’autonomie de ceux qui étaient les plus bas dans les organisations.
  • Dans son livre, Muller évoque nombre de secteurs où les chiffres n’ont pas produit ce qu’on attendait d’eux. Dans le domaine scolaire, en médecine, dans le domaine militaire, dans la police et bien sûr dans les affaires… les chiffres sont souvent mal utilisés et ne parviennent pas à mesurer l’important. Bien souvent, les chiffres déplacent les objectifs, favorisent le court-termisme, découragent la prise de risque, l’innovation, la coopération… coûtent du temps
  • voire sont dommageable pour la productivité elle-même (« Une question qui devrait être posée est de savoir dans quelle mesure la culture des métriques a elle-même contribué à la stagnation économique ? »)…
  • Pour lui, il faut d’abord se poser la question de ce que l’on cherche à mesurer en se souvenant que plus un objet mesuré est influencé par la procédure de mesure, moins il est fiable. Et que ce constat empire quand la mesure repose sur l’activité humaine, plus capable de réagir au fait d’être mesurée, et pire encore quand des systèmes de récompenses ou de punition sont introduits…
  • L’information est-elle utile ? Le fait que quelque chose soit mesurable ne signifie pas qu’il faille le faire (au contraire, bien souvent la facilité à mesurer est inversement proportionnelle à sa signification !). « Posez-vous la question de ce que vous voulez vraiment savoir ! », conseille l’historien.
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    "On n'a pas attendu le numérique pour produire des métriques, mais celui-ci a incontestablement simplifié et amplifié leur production. Quitte à produire un peu n'importe quelles mesures puisque celles-ci semblent désormais accessibles et ajustables en quelques clics. On connaît la rengaine : « ce qui ne peut être mesuré ne peut être géré » (même si la formule de Peter Drucker est en fait plus pertinente que ce que nous en avons retenu). Est-ce pour autant qu'on ne gère que ce que l'on sait chiffrer ?"
Aurialie Jublin

Kanye West et la tyrannie des likes - Libération - 0 views

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    Extrait : L'audience n'est en rien un critère de qualité. Nécessaires pour nourrir les algorithmes qui sélectionnent les contenus, les métriques ont bien davantage tendance à uniformiser les contenus. Parce que les internautes ont intériorisé les critères de «likabilité», toutes les photos Instagram finissent par se ressembler et tous les top-tweets semblent rédigés par la même personne, avec les mêmes tournures de phrase à la mode. La vraie vie s'éloigne ainsi des réseaux, qui n'en reçoivent plus qu'une version filtrée, révisée par la direction marketing et prête pour publication. C'est pour cette raison que Snapchat n'a jamais implémenté la fonction like.
Aurialie Jublin

affordance.info: Undocumented Men - 0 views

  • De fait nous semblons aujourd'hui n'avoir que deux choix fondés sur deux doctrines s'excluant mutuellement : Doctrine n°1 : La vie privée est une anomalie et si vous n'avez rien à vous reprocher vous n'avez rien à cacher. Soit le scénario d'une surveillance totale et globale de chacun de nos comportements par les grandes firmes tech en lien avec les états. Un projet au mieux de nature totalitaire et au pire de nature fasciste. Doctrine n°2 : La vie privée est un droit constitutionnel dont les états et les grandes firmes technologiques doivent être garants. Et là vous aurez toujours quelqu'un pour commencer à parler des exceptions, toujours un "oui mais" : "oui mais s'il s'agit de pédophilie ? De terrorisme ? D'empêcher un pilote d'avion mentalement déséquilibré de causer la mort de centaines de personnes ? A quel moment commence le "principe d'une surveillance de précaution" et quel aspect du droit fondamental à la vie privée doit-il fouler au pied ?" Et on ne s'en sort pas. 
  • Seul un troisième scénario pourra nous permettre d'éviter le pire. Il nécessite de passer par : la multiplication d'outils effectivement respectueux de notre vie privée dans le traitement technique des données qui y circulent (c'est la cas de DuckDuck Go, de Qwant, et de quelques autres) le déploiement de solutions alternatives à la toute puissance des GAFAM (comme l'initiative Dégooglisons internet le permet déjà, et comme le permettrait encore davantage la création d'un index indépendant du web combiné à la mutualisation déjà effective de ressources en Creative Commons) le soutien politique (et législatif) au déploiement du logiciel libre la formation à l'explicitation des enjeux de la surveillance ("Surveillance://" de Tristan Nitot en est un exemple magnifique) la prise de conscience que les données dont nous parlons sont avant tout celles de notre servitude volontaire
  • Demain peut-être, lorsque la dystopie se sera définitivement installée, ne nous faudra-t-il plus parler de "sans papiers" mais de "sans comptes". Des individus sans trace sociale numérique qui permette de les documenter. Ils ne seront plus "undocumented" mais "undigitized", non-numérisés. Et donc non-surveillables. Peut-être que ce sera une chance. Probablement même. De nouvelles formes de résistance documentaire émergeront, de nouvelles pédagogies contre la surveillance seront nécessaires. Et nous serons sans  peur, mais jamais sans reproche(s), car nous aurons compris que la doctrine selon laquelle "si nous n'avons rien à nous reprocher nous n'avons rien à cacher" est la source de tous les totalitarismes, que la vie privée est tout sauf une anomalie. Alors oui nous serons sans peur, dussions-nous pour cela rejoindre la cohorte de toutes celles et ceux qui sont, aujourd'hui, sans documents. Car cette humanité "undocumented" est bien plus qu'une humanité "sans papiers", elle est une humanité "non-documentée", en ce sens elle est aussi libre qu'elle permet de pointer et de mesurer notre propre asservissement aux nouveaux ordres documentaires. 
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    "Deuxio, sa haine viscérale est adressée à des communautés et à des minorités (rien de nouveau sous le fascisme ordinaire ...) mais elle se caractérise en cela qu'elle stigmatise principalement ces communautés du fait de leur absence de papiers (les fameux "Undocumented Men") et qu'elle utilise, pour conduire et guider cette haine, les outils et les métriques ne pouvant s'appliquer qu'à une population "sur-documentable". C'est ainsi que Cambridge Analytica a joué un rôle majeur dans la construction de sa victoire ; c'est ainsi également que la toute puissance du discours totalitaire est d'autant plus efficiente qu'elle s'applique à des communautés ciblées parce que sur-documentées (et sur-documentables) ; c'est ainsi, enfin, qu'il faut voir la volonté affichée de récupérer à toute force les mots de passe de ces "undocumented men" car cela permet au discours totalitaire et au projet fasciste qui le sous-tend de faire entrer le monde dans les deux seules catégories binaires qu'il comprend et qui composent son horizon et son projet : d'un côté ceux qu'il est possible de contrôler et de manipuler (les "sur-documentés") et de l'autre ceux contre qui il faut diriger la haine des premiers (les "sous-documentés", les "undocumented")."
Aurialie Jublin

Interview des auteurs du livre : "Blockchain - vers de nouvelles chaînes de v... - 0 views

  • Une monnaie, qu’elle qu’en soit la forme, remplit une fonction d’utilité : principalement celle d’être un moyen d’échange facilitant les transactions. Le point commun entre les pièces d’argile, les pièces métalliques, les monnaies fiduciaire et scripturale est donc de remplir cette fonction de média d’échange. L’utilisation d’un média d’échange dans le cadre d’une transaction permet de réduire les coûts associés à celle-ci.
  • Le troc est facilement imaginable, notamment au sein de petites communautés, mais est extrêmement coûteux puisqu’il nécessite « une coïncidence des volontés ». Il faut qu’à un instant t, deux personnes aient besoin du bien proposé par l’autre mais surtout que chacun estime que la transaction est équitable. L’utilisation d’une monnaie supprime ce problème : je peux vendre un bien, conserver la monnaie en « réserve de valeur » avant de racheter un autre bien lorsque l’envie m’en prendra. Plus largement, une monnaie remplit donc classiquement trois fonctions économiques : medium d’échange, réserve de valeur (possibilité de transférer des valeurs dans le temps) et unité de compte (métrique / libellé de référence pour des acteurs).
  • Vous dites aussi qu’une autre caractéristique de la monnaie est qu’elle n’a peu ou pas de valeur intrinsèque.En effet. La valeur qu’on lui accorde dépasse de loin sa valeur fondamentale. Nul doute que le poids du métal d’une pièce de deux euros valle bien moins que deux euros. La valeur d’une monnaie repose sur la confiance, la croyance collective que lui apporte un groupe d’individus, le symbole. Nous aimons beaucoup les thèses de Yuval Noah Harari sur la construction collective des mythes et des croyances ; selon nous, une monnaie en est une. La monnaie est «l’avatar le plus représentatif de la capacité des hommes à créer des mondes intersubjectifs ». Ce constat est d’autant plus fort depuis que la fin de la convertibilité or du dollar a été actée en 1971.
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  • Nous démontrons que les média d’échange ont toujours évolué dans l’histoire économique, prise dans le temps long. A ce titre, Bitcoin ne mérite pas de statut plus négatif que le billet de banque lors de son invention. Cette évolution historique n’est certes pas linéaire, et prudence doit être de mise pour ne pas tomber ni dans l’anachronisme ni dans un évolutionnisme mal placé. On peut toutefois identifier de grands changements associés au progrès technique : à chaque révolution industrielle son support. L’apprentissage de la manipulation des métaux a permis la création des pièces métalliques, l’invention de l’imprimerie a ouvert la voie à la création des billets et de la monnaie fiduciaire, la création de la comptabilité en partie double au XVe siècle a rendu possible la compensation de compte à compte sans déplacement physique de moyens d’échange. Il n’y a donc rien d’aberrant ou de surprenant à voir émerger de nouvelles formes d’échanges et de monnaies, comme le bitcoin, au gré des évolutions technologiques et sociétales. En cela, Bitcoin et la blockchain constituent une étape supplémentaire dans l’évolution de l’histoire monétaire et des transactions.
  • Pourtant, aujourd’hui, le bitcoin est rarement utilisé comme une monnaie.C’est vrai. Certes Bitcoin s’inscrit dans la continuité de l’histoire monétaire, repose sur un nouveau consensus, une nouvelle construction collective ; comme c’est le cas pour le dollar depuis des dizaines d’années. Cependant, nous pensons qu’à date Bitcoin remplit imparfaitement les fonctions monétaires, de médium d’échange, de réserve de valeur et dans une moindre mesure d’unité de compte. Imparfaitement puisque la volatilité reste trop importante et l’acceptation trop limitée pour prétendre au même statut que le dollar ou l’euro.
  • Avec le Bitcoin, c’est la première fois dans l’Histoire que l’évolution des médias d’échange se traduit par une décentralisation absolue, ou presque. Rappelons pour les novices que le protocole Bitcoin — et d’autres — permettent de transférer des valeurs en pair-à-pair, c’est-à-dire sans l’intervention de tiers centralisé, donc complètement à côté du système monétaire, financier et bancaire actuel. Bitcoin s’est donc construit selon une gouvernance diamétralement opposée au système monétaire actuel, sans lien aux Etats ou aux banques centrales ; mais aussi sans entreprise.
  • Le paradoxe en question réside dans le fait que se libérer d’un pouvoir ou d’une autorité donné ne signifie pas pour autant échapper à toute forme de contrôle. Ainsi, Bitcoin et d’autres protocoles parviennent à trouver des moyens d’échapper aussi bien au contrôle des États de manière générale, qu’à celui de la banque centrale pour ce qui concerne l’application monétaire de cette technologie. Mieux encore, elle abolit l’idée même d’autorité entre agents, ce qui constitue la condition sine qua non de l’accomplissement de la liberté dans l’optique crypto-anarchiste où fut élaborée cette technologie.
  • C’est précisément parce que tout est traçable et transparent au sein de la chaîne, que se crée une double situation dont on peut douter qu’elle soit propice à une liberté authentique. D’une part, par la sécurisation de l’information, chacun devient aliéné à son passé transactionnel, la blockchain enchaînant au sens propre l’utilisateur — fût-il anonyme — aux opérations qu’il accompli. D’autre part, au sein du système disparaissent les notions de secret et d’opacité, qui semblent constituer des fondements tout aussi décisifs d’une liberté concrète comme la volonté de ne pas être soumis à une surveillance continue.
  • Il ne faut pas confondre la dissimulation, qui est une négation — je ne suis pas identifiable — et la liberté, qui est une affirmation — je suis maître de ma volonté et de mes actes de telle sorte qu’ils me soient imputables. Or, à moins de disposer d’une définition extrêmement pauvre de la liberté — ne pas être identifié –, il semble impossible de déduire d’un anonymat la preuve d’une liberté effective ; par ailleurs, le propre de la blockchain consiste justement à rendre impossible (ou du moins difficile) l’attribution de transactions à l’identité réelle d’un individu donné. La condition même par laquelle l’individu échappe au contrôle devient la raison pour laquelle sa liberté perd son sens puisque que rien ne peut lui être imputé et que rien ne s’apparente de près ou de loin à une maîtrise responsable de sa volonté et de ses actes.
  • Enfin, la soustraction à l’endroit d’une certaine forme de contrôle (autorité, État, banques) ne garantit en rien d’éviter l’activation d’une autre forme de contrôle, plus contraignante encore puisqu’accomplie au nom de la sacro-sainte transparence mais supposant un contrôle autrement plus poussé et aliénant que le contrôle traditionnel de la puissance publique.
Aurialie Jublin

Réseaux sociaux : « Les utilisateurs sont conscients de leur dépendance aux a... - 0 views

  • Il y a eu une chute des audiences de Facebook depuis les révélations sur son implication dans la diffusion de « fake news » lors des dernières élections présidentielles américaines et l’affaire Cambridge Analytica. Les géants du numérique sont aujourd’hui globalement dans une tentative de reconquête, en affirmant qu’ils agiront de manière plus responsable, plus régulée.Mais leur objectif est aussi d’obtenir de nouvelles métriques pour affiner encore l’extraction intentionnelle des informations sur leurs utilisateurs. C’est sur ces méthodes d’exploitation que repose leur modèle : susciter l’attention, définir notre profil de données pour vendre ensuite de la publicité.
  • Comment changer les choses, plus globalement ?H. G. : Je pense qu’il faut porter cette question de l’attention sur le plan politique, en réglementant davantage. Nous appelons aussi, avec la Fondation Internet nouvelle génération (Fing), à nommer dans les entreprises du numérique, des médiateurs chargés des questions attentionnelles, pour qu’elles soient enfin prises au sérieux.
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    "Facebook a annoncé début août la mise en place en cours d'un outil permettant de mieux maîtriser le temps passé sur le réseau social. Google et Apple avaient déjà lancé ce genre d'option. Analyse d'Hubert Guillaud, spécialiste des questions d'attention sur les réseaux et responsable de la veille à la Fondation Internet nouvelle génération (Fing)."
Aurialie Jublin

[Écologie] Le monde du logiciel est en train de se détruire... Manifeste pour... - 0 views

  • Tout est lent, et cela ne va pas dans le bon sens. Certaines voix s’élèvent. Je vous invite notamment à lire “Le désenchantement du logiciel”. Tout est insupportablement lent, tout est ÉNORME, tout finit par devenir obsolète… La taille des sites web explose. Un site web est aussi gros que le jeu Doom. Le phénomène ne touche pas que le Web mais aussi l’IoT, le mobile… Le saviez-vous ? Il faut 13% de CPU pour faire clignoter un curseur…
  • Tout grossit : la taille des applications, les données stockées, la taille des pages web, la mémoire des téléphones… Les téléphones ont maintenant 2 Go de mémoire, échanger une photo de 10 Mo par mail est maintenant classique… À la limite, cela ne serait peut-être pas un problème si tous les logiciels étaient utilisés, efficaces et performants… Mais cela n’est pas le cas,
  • Alors tout le monde se cale sur une lenteur. Tout est uniformément lent. On se cale sur cela et tout va bien. Être performant aujourd’hui, c’est arriver à atteindre un ressenti utilisateur qui correspond à cette lenteur uniforme. On élague les choses qui pourraient être trop visibles. Une page qui met plus de 20 secondes à se charger, c’est trop lent. Par contre, 3 secondes c’est bien. 3 secondes ? Avec les multicoeurs de nos téléphones/PC et les data centers partout dans le monde, le tout relié par des supers technologies de communication (4G, fibre…),c’est un peu bizarre non ? Si on regarde la débauche de ressources pour le résultat obtenu, 3 secondes, c’est énorme. D’autant plus que les bits circulent dans nos processeurs avec des unités de temps du niveau de la nanoseconde. Donc oui, tout est uniformément lent.
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  • Il est nécessaire de revenir à plus d’efficience, de « challenger » les besoins en matériel, de redéfinir ce qu’est la performance. Tant que l’on se satisfera de cette lenteur uniforme avec des solutions pour ne pas ralentir plus (comme l’ajout de matériel), nous n’avancerons pas. La dette technique, notion largement assimilée par les équipes de développement, n’est malheureusement pas adaptée à ce problème (on y reviendra). Nous sommes sur une dette de ressources matérielles et de mauvaise adéquation entre le besoin utilisateur et la solution technique. On parle ici d’efficience et non pas uniquement de performance. L’efficience est une histoire de mesure du gaspillage. L’ISO définie l’efficience avec comme domaine : Time behaviour, Resource utilization et Capacity. Pourquoi ne pas pousser plus ces concepts ?
  • Développez du code Java pour un serveur J2EE ou pour un téléphone Android, ce n’est pas pareil. Des structures spécifiques existent par exemple pour traiter des données en Android mais les structures classiques sont toujours utilisées. Les développeurs ont perdu le lien avec le hardware. C’est malheureux car c’est passionnant (et utile) de savoir comment fonctionne un processeur. Pourquoi : abstraction et spécialisation (nous verrons cela plus loin). Car en perdant ce lien, on perd une des forces du développement. Ce lien est important chez les hackers ou chez les développeurs d’informatique embarquée mais malheureusement de moins en moins présent chez les autres développeurs.
  • Les pratiques devops pourraient répondre à cette perte de lien. Là, c’est pareil, nous n’allons pas jusqu’au au bout : généralement le devops va se focaliser à bien gérer le déploiement d’une solution logicielle sur une infrastructure mixte (matérielle et un peu logicielle). Il faudrait aller plus loin en remontant par exemple les métriques de consommation, en discutant sur les contraintes d’exécution… plutôt que de “scaler” juste parce que c’est plus simple.
  • Certaines technologies ont une utilité mais sont maintenant systématiquement utilisées. C’est le cas par exemple des ORM qui sont devenus systématiques. Aucune réflexion n’est faite sur son intérêt en début des projets. Résultat : on a rajouté une surcouche qui consomme, qu’il faut maintenir et des développeurs qui n’ont plus l’habitude d’effectuer des requêtes natives. Cela ne serait pas un problème si chaque développeur connaissait très bien le fonctionnement des couches d’abstraction : comment fonctionne HIBERNATE par exemple ? On s’appuie hélas de façon aveugle sur ces frameworks.
  • Le besoin d’abstraction est lié à un autre défaut: nous attendons toujours des outils miracles. La silver bullet qui améliorera encore plus nos pratiques. Le langage idéal, le framework pour aller plus vite, l’outil de gestion miracle des dépendances… C’est la promesse à chaque fois d’un nouveau framework : gagner du temps en développement, être plus performant… Et on y croit, on fonce. On abandonne les frameworks sur lesquels nous avions investi, sur lesquels on avait passé du temps… et on passe au nouveau. C’est le cas actuellement des frameworks JS. L’histoire du développement est pavé de framework oubliés, non maintenus, abandonnés… Nous sommes les champions pour réinventer ce qui existe déjà. Si on le gardait suffisamment longtemps, on aurait le temps de maîtriser un framework, de l’optimiser, de le comprendre. Mais ce n’est pas le cas. Et que l’on ne me dise pas que si on n’avait pas continuellement réinventé la roue, on aurait encore des roues en pierre… Innover serait d’améliorer les frameworks existants .
  • Sur les langages, c’est la même rengaine. Attention, je ne préconise pas de rester sur l’assembleur et sur le C… C’est le cas par exemple dans le monde Android, pendant plus de 10 ans les développeurs ont pu travailler sur des outils et des frameworks Java. Et comme cela, par magie, le nouveau Langage de la communauté est Kotlin. On imagine l’impact sur les applications existantes (si elles doivent changer), il faut recréer des outils, retrouver des bonnes pratiques… Pour quel gain?
  • Sincèrement, on ne voit aucun ralentissement sur les cycles de renouvellement des technologies. C’est toujours un rythme frénétique. Nous trouverons bien le Graal un jour. Le problème est ensuite l’empilement de ses technologies. Comme aucune ne meurt vraiment et que l’on en maintient toujours des parties, on développe d’autres couches pour s’adapter et continuer à maintenir ces bouts de code ou ces librairies. Le problèmen’est pas le code legacy,, c’est la glue que l’on développe autour qui pêche.
  • Au final, on passe du temps à résoudre des problèmes techniques internes, on recherche des outils pour résoudre les problèmes que l’on ajoute, on passe son temps à s’adapter à ses nouveaux outils, on ajoute des surcouches (voir chapitre précédent…) … et on n’a pas améliorer la qualité intrinsèque du logiciel ou les besoins auxquels on doit répondre.
  • Au final, le rythme frénétique des changements ne nous permet pas de nous stabiliser sur une technologie. J’avoue qu’en tant que vieux développeur que je suis, j’ai été découragé par le changement Java vers Kotlin pour Android. C’est peut-être pour certains de véritables challenges, mais quand je repense au temps que j’ai passé sur l’apprentissage, sur la mise en place d’outils
  • Ensuite, comme aucune solution ne meurt vraiment, que de nouvelles arrivent… on se retrouve avec des projets avec des multitudes de technologies à gérer avec les compétences associées aussi… On s’étonne ensuite que le marché du recrutement de développeur soit bouché. Pas étonnant.. Il y a énormément de développeurs mais il est difficile de trouver un développeur React avec 5 ans d’expérience qui connaîsse le Go. Le marché est fractionné, comme les technologies. C’est peut-être bon pour les développeurs car cela crée de la rareté et cela fait monter les prix, mais pas pour le projet !
  • Cependant, cet apprentissage continu des technologies pose le problème d’apprentissage de domaines transverses : accessibilité, agilité, performance… En effet, qu’est-ce qui nous prouve que les outils et les langages que nous allons choisir ne vont pas changer dans 4 ans ? Rust, Go… dans 2 ans ? Rien ne tend à donner une tendance.
  • On ne se remet pas en question car on veut s’amuser. Le fun est important, car si l’on s’ennuie dans son boulot, on va déprimer. Par contre, on ne peut pas, sous prétexte de vouloir du fun tout le temps, changer nos outils continuellement. Il y a un déséquilibre entre l’expérience du développeur et l’expérience de l’utilisateur. On veut du fun, mais qu’est-ce que cela va réellement apporter à l’utilisateur ? Un produit plus « joyeux » ? Non, nous ne sommes pas des acteurs.
  • On ne se pose pas de question sur l’éthique de notre domaine, sur sa durabilité… Cela vient peut-être du fait que notre domaine n’a pas réellement de code éthique (comme par exemple les médecins ou les avocats). Mais sommes-nous en tant que développeurs réellement libres si l’on ne peut pas avoir une autocritique ? Nous sommes peut être asservis à une cause portée par d’autres personnes ? Le problème n’est pas simple mais nous avons dans tous les cas une responsabilité. Sans code éthique, c’est le plus fort et le plus malhonnête qui est le plus fort. Le buzz et les pratiques pour manipuler les utilisateurs sont de plus en plus répandus. Sans Dark Pattern ton produit ne sera rien. Les plus gros (GAFA…) n’en sont pas arrivés là pour rien.
  • Est-ce que la solution est politique ? Il faut légiférer pour mieux gouverner le monde du logiciel. On le voit avec les dernières réponses législatives aux problèmes concrets : RGPD, notification des cookies… la source du problème n’est pas résolue. Peut-être parce que les politiques ne comprennent que très mal le monde du logiciel.
  • Car si cette structuration n’est pas faite, les développeurs vont perdre la main sur ce qu’ils font. Or le manque d’éthique de la profession est critiqué à l’extérieur. Rachel Coldicutt (@rachelcoldicutt) directrice de DotEveryOne, un think tank britannique qui promeut une technologie plus responsable, encourage à former des diplômés non-informaticiens qui traiteraient de ces problèmes (Voir plus précisément dans l’article d’Internet Actu). Pour poursuivre sur ce dernier article, cela serait dans la droite ligne de l’informatique, domaine issu du monde militaire où les ingénieurs et développeurs seraient formés à suivre des décisions et des commandements.
  • Le monde du logiciel s’intègre dans un système organisationnel classique. Grands groupes, sous-traitances via des ESN, web agencies… Tous suivent les mêmes techniques de gestion des projets informatiques. Et tout le monde va « dans le mur ». Aucune analyse sérieuse n’est faite sur le coût global d’un logiciel (TCO), sur son impact sur la société, sur son bénéfice, sa qualité… C’est la rapidité de release(Time to Market), la surcharge featurale (fonctionnelle), la productivité immédiate, qui comptent. Premièrement car les gens externes à ce monde ne connaissent que trop peu la technicité du logiciel et son monde. Il est virtuel donc simple (sic). Mais ce n’est pas le cas. Les écoles de commerce et autres usines de managers n’ont pas de cours de développement. Comment peuvent-ils bien diriger et piloter des projets ?
  • On continue a vouloir chiffrer des projets informatiques comme de simples projets alors que des mouvements comme le no estimate propose des approches innovantes. Les projets continuent d’échouer : le chaos report rapporte que simplement 30% des projets réussissent bien. Et face à cette mauvaise gouvernance, les équipes techniques continuent de se battre sur les technologies. Dommages collatéraux : la qualité, l’éthique, l’environnement… et au final l’utilisateur. Cela ne serait pas si critique si le logiciel n’avait pas un impact aussi fort sur le monde. Software eats the world… et oui, on le « bouffe »…
  • Si ces décisions absurdes arrivent, ce n’est pas uniquement la faute du développeur mais bien de l’organisation. Et qui dit organisation dit management (sous-différente forme). Si l’on revient au livre de Morel, il parle de piège cognitif dans lesquels les managers et les techniciens tombent souvent. C’est le cas de la navette Challenger qui a été quand même lancée malgré la connaissance du problème d’un joint défectueux. Les managers ont sous-évalué les risques et les ingénieurs ne les ont pas prouvés. Chacun a reproché à l’autre de ne pas fournir assez de preuves scientifiques. C’est souvent ce qui se passe dans les entreprises : des warnings sont levés par certains développeurs mais le management ne les prend pas assez au sérieux.
  • En même temps, on revient aux causes précédentes (silver bullet, on s’amuse…), il est nécessaire d’avoir une vraie ingénierie et une vraie analyse des technologies. Sans cela, les équipes techniques seront toujours non-écoutées par le management. Des outils et benchmark existent mais ils sont encore trop peu connus. Par exemple, Technologie Radar qui classe les technologies en terme d’adoption.
  • Ce phénomène de décision absurde est renforcé par le tissu complexe du développement logiciel : Les sociétés historiquement hors du numérique sous-traitent à des entreprises du numérique, les ESN sous-traitent aux freelances… Le partage de responsabilité technique / management est encore plus complexe et les décisions absurdes plus nombreuses.
  • Mais cela ne s’arrête pas là. On peut aussi voir l’usage de l’open-source comme une sorte de sous-traitance. Idem pour l’usage de framework. On est juste consommateur passif, on se déleste de plein de problématiques (qui ont un impact sur les ressources, la qualité…).
  • C’est d’autant plus facile que le domaine est passionnant et que la pratique des sides-projects, du temps passé sur les projets open-source hors des horaires de bureau est chose commune… La recherche de “fun” et le temps passé bénéficient alors plus aux organisations qu’aux développeurs. Difficile dans ce cas de chiffrer le coût réel d’un projet. Et pourtant, cela ne serait pas un problème si on arrivait à des logiciels « au top ».
  • Le développeur n’est ici plus un artisan du code, mais plutôt un pion dans un système critiquable du point de vue humain. Cela n’est pas visible, tout va bien et on s’amuse. En apparence seulement, car certains domaines du développement logiciel vont plus loin et rendent beaucoup plus visible cette exploitation : Le domaine du jeux-vidéo où les heures explosent.
  • Et donc, toutes ces maladresses (logiciel trop lourd, sans qualité…) se retrouvent chez les utilisateurs. Comme on doit releaser au plus vite les logiciels, que l’on ne tente pas de résoudre les inefficiences internes, et que l’on ne met pas plus de ressource pour faire de la qualité, on arrive à des logiciels médiocres. Mais on a tellement d’outils de monitoring et de suivi des utilisateurs pour détecter ce qui se passe directement chez eux qu’au final, on pense que ce n’est pas grave. Cela serait une bonne idée si les outils étaient bien utilisés. Or la multitude d’informations récoltées (en plus des bugs remontés par les utilisateurs) n’est que faiblement utilisée. Trop d’information, difficulté de cibler la vraie source du problème… on s’y perd et au final, c’est l’utilisateur qui trinque. Tous les logiciels sont maintenant en bêta-test. A quoi bon faire de la sur-qualité, autant attendre que l’utilisateur le demande. Et on revient ainsi au premier chapitre : un logiciel uniformément lent … et médiocre.
  • Heureusement, on est sauvé par la non-sensibilisation des utilisateurs au monde du logiciel. C’est un monde effectivement virtuel et magique qu’ils ont l’habitude d’utiliser. On leur a mis en main les outils mais sans notice explicative. Comment évaluer la qualité d’un logiciel, les risques sur l’environnement, les problèmes de sécurité… si l’on n’a pas des notions d’informatique, même rudimentaires ?
  • L’informatique du 21ème siècle est ce que l’agroalimentaire était pour les consommateurs au 20ème siècle. Pour des raisons de productivité, on a poussé des solutions médiocres avec un calcul court-termiste : mise sur le marché de plus en plus rapide, profit en hausse constante… agriculture intensive, malbouffe, pesticides… avec des impacts importants sur la santé, sur l’environnement… Les consommateurs savent maintenant (de plus en plus) les conséquences désastreuses de ces dérives, l’industrie agroalimentaire doit donc se réinventer, techniquement, commercialement et éthiquement. Pour le logiciel, quand les utilisateurs comprendront les tenants et les aboutissants des choix techniques, l’industrie du logiciel devra gérer les mêmes problèmes. En effet, le retour au bon sens et aux bonnes pratiques n’est pas une chose simple pour l’agroalimentaire. Dans l’IT, on commence à le voir avec ses conséquence sur la vie privée des utilisateurs (mais nous n’en sommes qu’aux balbutiements).
  • On va dans la mauvaise direction. L’industrie de l’informatique a déjà effectué dans les années 70 des erreurs avec des impacts non-négligeables. L’exclusion des femmes de l’informatique en fait partie. Non seulement cela a été fatal pour certaines industries mais on peut se poser la question de comment on peut maintenant adresser des réponses à seulement 50% de la population informatique, avec une représentativité très faible. Le chemin est maintenant difficile à retrouver.
  • Mais l’impact du monde IT ne s’arrête pas là. La source et le modèle d’une grosse partie de l’informatique sont issus de la Silicon valley. Si l’on écarte les gagnants de la Silicon Valley, les populations locales subissent la montée des prix, le déclassement, la pauvreté…
  • Dans sa lancée vers le progrès technique, le monde du logiciel crée aussi sa dette environnementale…
  •  
    "Le monde du logiciel va mal et si l'on n'agit pas, on risque de le regretter. Environnement, qualité, exclusion… Software Eats The World (Le logiciel mange le monde…) ? Oui un peu trop. "
Aurialie Jublin

Bienvenue dans le «World Wide Fake» - Libération - 0 views

  • Le Web existe officiellement depuis le mois de mars 1989. Il s’est construit sur différentes strates, dont la rétro-archéologie pourrait être la suivante. D’abord, le «World Wide Web». Le Web des documents : ses utilisateurs, ses ingénieurs, ses interfaces et ses intérêts économiques, tout sur la planète web tourne autour de l’axe documentaire. Il faut indexer, classer, donner accès à ce qui va très vite devenir une quasi-infinité de documents d’abord disponibles sous forme de texte, puis d’images, dans des pages et des sites.
  • Ensuite, un «World Live Web» car tout s’accélère, de la production des contenus à leur mise à disposition quasi instantanée dans les architectures de moteurs de recherche qui se font désormais fort d’indexer toute l’actualité et ce en temps réel.
  • uis, le «World Life Web». L’axe autour duquel tourne toute la planète web n’est plus celui des documents mais celui des «profils». Ce qui change tout, tant sur le plan trivial de l’ergonomie que sur celui - crucial - de l’économie.
  • ...8 more annotations...
  • Enfin, avec l’Internet des objets vient alors le règne du «World Wide Wear». Les interfaces sont désormais celles de nos vêtements, elles siègent sous la forme d’enceintes connectées au milieu même de nos maisons. Des technologies littéralement «prêtes à porter» autant qu’elles sont prêtes et toujours «à portée». Et, avec elles, l’anecdotisation des régimes de surveillance qui conduit tout droit au «World Wide Orwell».
  • Nous sommes aujourd’hui à l’étape d’après. Celle du «World Wide Fake». Un environnement, un écosystème dont l’essentiel des interactions est artificiellement fabriqué sur la base d’une spéculation qui n’a d’autre but que de s’entretenir elle-même. Issue d’une forme de capitalisme linguistique se déclinant en un capitalisme de surveillance, cette spéculation avait initialement pour but de nous maintenir le plus attentionnellement captifs possible, nous rappelant sans cesse qu’il fallait interagir, notamment par le biais de ces contremaîtres cognitifs que sont les notifications. Mais aujourd’hui le «faux» se déploie au sein des architectures techniques toxiques de plateformes prédatrices qui ont presque totalement phagocyté tout ce qui fut l’espace public du Web, et contraint nos usages à prendre place dans ces espaces privés et privatifs.
  • Aujourd’hui, «de faux internautes avec de faux cookies et de faux comptes sur des réseaux sociaux effectuent de faux mouvements de souris, activent de faux clics vers de faux sites webs [….], créant un simulacre d’Internet dans lequel la seule chose encore réelle ce sont les publicités», écrit Max Read dans un papier pour le New York Magazine.
  • Nous y sommes et dans des proportions encore plus ahurissantes : presque 52 % du trafic internet mondial en 2016 a été généré par des bots. De faux utilisateurs donc.
  • Le faux est souvent l’autre nom du «mensonge». Et on semble découvrir que tout le monde ment sur le Web. Puisque chacun est seul à disposer de ses propres chiffres au service de ses propres certitudes ou de ses propres intérêts comment pourrait-il en être autrement ? On a découvert, presque étonnés, que Facebook avait menti sur les chiffres d’audience de ses vidéos, qu’il mentait également sur les métriques liées à «l’engagement». On a découvert que Google mentait si on lui posait la question de savoir si l’Holocauste avait vraiment existé. On a compris qu’en plus de leurs architectures techniques toxiques, les grandes plateformes disposaient chacune de leur propre régime de vérité - celui de la popularité pour Google et celui de l’engagement pour Facebook - qui rendait encore plus difficile la construction d’un espace culturel commun permettant de faire société
  • Au niveau géopolitique même, de faux comptes utilisant de fausses publicités ont permis d’influencer le résultat de vraies élections. Les technologies de l’artefact, les «Deep Fakes», qui permettent à moindre coût de truquer le réel avec un effet de vraisemblance quasi indétectable, sont aujourd’hui en passe de devenir des technologies «grand public» : on peut grâce à elles remplacer le visage d’un acteur par celui d’un autre dans un film mais également modifier la vocalisation du discours tenu par un homme politique pour lui faire dire ce que l’on veut.
  • Ce faisant, c’est tout ce qui dans notre société permettait d’établir la valeur de preuve d’une image, d’un discours, d’un témoignage ou d’un fait, qui vole en éclats et qu’il nous faut réapprendre à définir et à construire. Voilà des années qu’avec d’autres, je milite pour une prise en compte et une intervention sur la dimension non pas économique mais simplement politique des grandes plateformes.
  • Hannah Arendt est morte en 1975 et n’a donc jamais connu Internet. Dans un entretien de 1974 sur la question du totalitarisme, elle écrivait ceci : «Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et, avec un tel peuple, vous pouvez faire ce qu’il vous plaît.» C’est très exactement cela, le risque et la promesse du World Wide Fake si nous n’y faisons rien : la conjugaison d’un emballement spéculatif autour d’une industrie publicitaire de la falsification et de l’altération et l’annonce d’un effondrement de notre capacité collective à faire société dans un espace public commun. Et, avec un tel peuple, vous pouvez faire ce qu’il vous plaît
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    "Aujourd'hui, plus de la moitié du trafic internet mondial est généré par des bots, c'est-à-dire des faux utilisateurs, qui manipulent les audiences et orientent les débats. Et c'est notre capacité collective à faire société qui est en jeu."
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