Les rapports entre les sciences sociales et l’Internet ont fait l’objet de multiples réflexions critiques ces dernières années à partir de travaux sociologiques menés simultanément dans trois champs de recherches : les alertes et les risques ; les affaires et les controverses ; et enfin la socio-informatique des dossiers complexes, c’est-à-dire l’analyse informatisée des alertes, des controverses et des crises[1][1] Un rapport de recherche intitulé Internet à l’épreuve...suite. Ces différents axes de recherche ont conduit à interroger les usages de l’Internet, et en particulier des « moteurs de recherche », à partir des façons dont on mène des enquêtes, en entendant le terme au sens très général que lui donne un des pères du pragmatisme, John Dewey : « La façon dont les hommes “pensent” effectivement dénote simplement, selon notre interprétation, les façons selon lesquelles les hommes, à un moment donné, mènent leurs enquêtes. Dans la mesure où l’on s’en sert pour enregistrer une différence avec les façons selon lesquelles ils devraient penser, elle dénote une différence comme celle existant entre la bonne et la mauvaise manière de faire de la culture, de la bonne et la mauvaise pratique médicale. Les hommes pensent mal quand ils suivent ces méthodes d’enquête qui, l’expérience des enquêtes passées le montre, ne leur permettent pas d’atteindre la fin qu’ils envisageaient pour les enquêtes en question[2][2] J. Dewey, Logique – La théorie de l’enquête,...suite. » 2 En quoi les usages de l’Internet modifient-ils les manières de mener les enquêtes ? Qu’est-ce qu’un recoupement pertinent dans le « monde virtuel » et qu’est-ce qui suspend le doute ou arrête la critique ? Qui fait autorité ? La traçabilité et l’archivage des sources ou des liens changent-ils les modes d’authentification et de preuve ? Que deviennent les notions de trace et d’indice dans le « monde en réseaux »[3][3] Voir le « paradigme de l’indice » de Carlo...suite ? Les moteurs de recherche sont-ils de simples auxiliaires de « cyber-enquêteurs » ou ont-ils tendance à configurer en amont les jeux d’informations pertinentes, en faisant reposer la pertinence cognitive sur l’importance des liens qui dotent les informations d’une importance sociale particulière ? Pour répondre à ces questions, on a étudié la manière dont des internautes « relativement qualifiés » (chercheurs, administrateurs-réseaux, militants-experts, etc.) utilisent les ressources du Web pour confirmer ou infirmer des thèses, authentifier des sources, recouper et évaluer des informations. De ce point de vue, l’Internet a contribué à une profonde réorganisation des relations entre les plans cognitifs et politiques en créant un laboratoire ouvert pour le développement des compétences critiques des acteurs les plus divers et en rendant encore plus visibles leurs capacités de configurer leurs mondes[4][4] Voir D. Cardon, « La trajectoire des innovations...suite. Mais il ne s’agit pas pour autant de « fuite dans le virtuel » : on a pu montrer en effet que le Web ne compose pas un « monde virtuel » séparé d’un « monde réel » mais fournit de nouveaux opérateurs de recoupement aux protagonistes les plus divers. Il convient donc d’examiner la forme que prennent ces opérations ordinairement qualifiées de « recherches d’informations » et en particulier le rôle des différents outils et protocoles fournis par l’Internet, en insistant sur la manière dont ces transformations rétroagissent sur le travail des sciences sociales