Haraway-cyborg manifeto - 0 views
-
mythe politique ironique qui soit fidèle au féminisme, au socialisme et au matérialisme
-
La fin du XXe siècle, notre époque, ce temps mythique est arrivé et nous ne sommes que chimères, hybrides de machines et d’organismes théorisés puis fabriqués; en bref, des cyborgs.
- ...25 more annotations...
-
Dans la tradition occidentale des sciences et de la politique – tradition de la domination masculine, raciste et capitaliste, tradition du progrès, tradition de l’appropriation de la nature comme ressource pour les productions de la culture, tradition de la reproduction de soi par le regard des autres – la relation entre organisme et machine fut une guerre de frontières. Elle avait pour enjeux les territoires de la production, de la reproduction et de l’imagination.
-
Le cyborg est résolument du côté de la partialité, de l’ironie, de l’intimité et de la perversité. Il est dans l’opposition, dans l’utopie et il ne possède pas la moindre innocence. Parce qu’il n’est plus structuré par la polarité du public et du privé, le cyborg définit une cité technologique en partie basée sur une révolution des relations sociales au sein de l’oïkos, du foyer. Nature et culture sont refaçonnées ; l’une ne peut plus être la ressource que l’autre s’approprie et assimile. Les relations, y compris celles de polarité et de domination hiérarchique, qui permettent, avec des parties, de former des “ touts ” sont à l’ordre du jour dans le monde cyborgien.
-
trois brèches percées dans les frontières, trois moments cruciaux qui rendent possible l’analyse de politique-fiction (politico-scientifique) qui va suivre
-
En bref, nous ne sommes plus très sûres de savoir ce qui appartient ou non à la nature – cette source d’innocence et de sagesse – et nous ne le saurons probablement plus jamais.
-
Une autre de mes prémisses : jamais ceux qui tentent de lutter contre l’intensification mondiale de la domination n’ont autant eu besoin de s’unir. Mais une perspective légèrement décalée nous permettrait de pouvoir mieux nous battre pour introduire, dans des sociétés médiatisées par la technologie, de nouvelles significations et de nouvelles formes de pouvoir et de plaisir.
-
On pourrait voir le monde cyborgien comme celui avec lequel viendra l’imposition définitive d’une grille de contrôle sur la planète, l’abstraction définitive d’une apocalyptique Guerre des étoiles menée au nom de la défense nationale, et l’appropriation définitive du corps des femmes dans une orgie guerrière masculiniste (Sofia, 1984). D’un autre point de vue, le monde cyborgien pourrait être un monde de réalités corporelles et sociales dans lesquelles les gens n’auraient peur ni de leur double parenté avec les animaux et les machines, ni des idées toujours fragmentaires, des points de vue toujours contradictoires. La lutte politique doit prendre en compte ces deux perspectives à la fois car chacune d’entre elles révèle et les rapports de domination et les incroyables potentialités de l’autre.
-
Après que les notions de classe, de race et de genre se sont, non sans mal, imposées comme constructions sociales et historiques, on ne peut plus les utiliser comme bases d’une croyance essentialiste. Il n’y a rien dans le fait d’être femme qui puisse créer un lien naturel entre les femmes. “ être ” femme n’est pas un état en soi, mais signifie appartenir à une catégorie hautement complexe, construite à partir de discours scientifiques sur le sexe et autres pratiques sociales tout aussi discutables. Conscience de classe, conscience de race ou conscience de genre nous ont été imposées par l’implacable expérience historique des réalités contradictoires du capitalisme, du colonialisme et du patriarcat.
-
es douloureuses divisions qui opposent les féministes les unes aux autres (sans parler des femmes en général) ont emprunté toutes les lignes de fracture possibles et rendu insaisissable le concept même de femme, concept qui constitue une matrice où reproduire, entre femmes, les relations de domination.
-
une autre possibilité de réponse à ces crises s’est imposée : la coalition – l’affinité, plutôt que l’identité
-
Après avoir étudié les temps forts qui ont accompagné la prise de parole politique des “ femmes de couleur ”, Chela Sandoval a élaboré un modèle d’identité politique plein d’avenir qu’elle a appelé “ conscience oppositionnelle
-
Si elle fut contestée à l’origine par celles qu’elle devait désigner, l’expression “ femmes de couleur ” n’en constitue pas moins une prise de conscience historique qui marque la débâcle générale des signes de l’Homme dans la tradition “ occidentale ”. L’expression “ Femmes de couleur ” construit une sorte d’identité postmoderniste de l’altérité, de la différence et de la spécificité. Et cette identité postmoderniste-là est pleinement politique, quoiqu’on puisse dire à propos d’autres éventuels postmodernismes. Plutôt que de relativismes et de pluralismes, la conscience oppositionnelle de Sandoval traite de positionnements contradictoires et de calendriers hétérochroniques.
-
Le concept “ femme ” excluait toutes les femmes non-blanches; le concept “ Noir ” excluait tous les individus non-noirs ainsi que toutes les femmes noires. Mais il n’y avait pas non plus de “ elle ”, de singularité. Les Américaines qui ont affirmé leur identité de femmes américaines de couleur, nageaient dans un océan de différences.
-
Contrairement à certains mouvements féministes créés aux Etats-Unis par des Blanches, on ne fait pas ici appel une idée de “ la ” femme, il n’y a pas de recours à la “ nature ”
-
La thèse de Sandoval doit être comprise comme une formulation féministe puissante du discours anti-colonialiste qui se développe dans le monde entier, discours qui annihile la notion d’Occident et son corollaire le plus important, la prépondérance de celui qui n’est ni animal, ni barbare, ni femme : l’homme, auteur d’un cosmos que l’on appelle Histoire.
-
King dénonce la tendance qu’ont encore certaines féministes contemporaines à établir, à partir des “ événements ” ou des “ échanges ” ayant fait partie de leur propre pratique féministe, des taxinomies du mouvement des femmes grâce auxquelles leurs propres tendances politiques font, pour toutes, figure de totalité. Ces taxinomies tendent à réécrire l’histoire du féminisme de telle sorte qu’elle apparaît comme celle d’une lutte idéologique qui opposerait les uns aux autres différents types d’individus classés par groupes cohérents qui se maintiendraient avec le temps. Féminisme socialiste, radical et libéral en seraient les exemples les plus typiques. Tout autre féminisme est littéralement incorporé ou marginalisé, le plus souvent à travers la construction d’une ontologie et d’une épistémologie tout à fait explicite 13. Les taxinomies du féminisme produisent des épistémologies policières qui empêchent toute déviation de la ligne officielle censée représenter l’expérience des femmes. Et bien entendu, la “ culture des femmes ”, tout comme la notion de “ femmes de couleur ”, est consciemment créée par des mécanismes producteurs d’affinité.
-
Quelle sorte de politique pourrait embrasser toutes ces constructions d’identités collectives et personnelles, toujours ouvertes, contradictoires et partielles, tout en restant fidèle, efficace – et, oh ironie, féministe socialiste ?
-
Je ne connais aucune autre période de l’histoire où le besoin d’une unité politique qui permette d’agir contre le système de domination basé sur la “ race ” , le “ genre ”, la “ sexualité ” et la “ classe sociale ” se soit autant fait ressentir. Mais je ne connais pas non plus d’autre époque où une unité comme celle que nous pouvons aider à construire aurait été possible. Aucune d’entre “ nous ” n’a plus la possibilité symbolique ou matérielle d’imposer une certaine forme de réalité à aucun d’entre “ eux ”. “ Nous ” ne pouvons, en tout cas, pas nous prétendre innocentes de toutes les pratiques de domination que nous venons de définir. Les femmes blanches, y compris les féministes socialistes, ont découvert la non-innocence de la catégorie “ femmes ” (ou ont été forcées de la découvrir à coups de pieds dans le cul et de cris).
-
Les féminismes socialistes-marxistes, comme les féminismes radicaux, ont à la fois naturalisé et dénaturé le concept “ femme ” ainsi que la conscience de ce que vivent “ les femmes ” dans la société.
-
Mais avec la structure ontologique du travail et de son analogue, l’activité des femmes, on glisse vers l’essentialisme 14. L’héritage de l’humanisme marxien, et du moi pré-éminemment occidental, me pose problème. Ce qui a été formulé à propos du travail, plutôt que de ramener éternellement “ la ” femme vers une quelconque “ nature ”, doit souligner la responsabilité quotidienne qu’ont “ les ” femmes des constructions sociales.
-
Selon MacKinnon, le féminisme adopte nécessairement une stratégie analytique différente de celle du marxisme, qui ne considère pas en premier lieu la structure de classe, mais celle du sexe et du genre et les relations qu’elle produit, à savoir la façon dont les hommes constituent et s’approprient sexuellement les femmes. L’ “ ontologie ” de MacKinnon construit un non-sujet, un non-être.
-
La théorie radicale de l’expérience qu’élabore MacKinnon est totalisante à l’extrême. Elle ne se contente pas de marginaliser tout autre parole ou action politique des femmes, elle va jusqu’à les priver de toute autorité. Cette totalisation produit ce que le patriarcat occidental lui-même n’avait jamais réussi à produire : une conscience féministe de la non-existence des femmes, si ce n’est comme production du désir des hommes.
-
Le sens du mot reproduction prend des nuances différentes pour chacune de ces deux tendances : l’une l’associe au travail, l’autre à la sexualité, et toutes deux donnent aux conséquences de la domination et de l’ignorance de la réalité personnelle et sociale le nom de “ fausse conscience ”.
-
Tous deux ont été constitués comme des totalités. C’est ce qu’exige la position occidentale : comment l’auteur “ occidental ” pourrait-il autrement incorporer ce qui lui est étranger ?
-
Que la notion de femme soit maintenant en train de se dissoudre dans l’existence “ des ” femmes, n’est pas dû au hasard. Peut-être les féministes socialistes ne sont-elles pas vraiment responsables de l’élaboration de la théorie essentialiste qui efface les particularités et les intérêts contradictoires des femmes. Moi je crois que si.