Les dadaïstes
s'appuyèrent beaucoup moins sur l'utilité mercantile de
leurs oeuvres que sur l'impropriété de celles-ci au
recueillement contemplatif. Pour atteindre a cette
impropriété, la dégradation
préméditée de leur matériel ne fut pas
leur moindre moyen. Leurs poèmes sont, comme disent les
psychiatres allemands, des salades de mots, faites de
tournures obscènes et de tous les déchets imaginables
du langage. II en est de même de leurs tableaux, sur lesquels
ils ajustaient des boutons et des tickets. Ce qu'ils obtinrent par de
pareils moyens, fut une impitoyable destruction de l'aura même
de leurs créations, auxquelles ils appliquaient, avec les
moyens de la production, la marque infamante de la reproduction. Il
est impossible, devant un tableau d'Arp ou un poème d'August
Stramm, de prendre le temps de se recueillir et d'apprécier
comme en face d'une toile de Derain ou d'un poème de Rilke. Au
recueillement qui, dans la déchéance de la bourgeoisie,
devint un exercice de comportement asocial [12],
s'oppose la distraction en tant qu'initiation à de nouveaux
modes d'attitude sociale. Aussi, les manifestations dadaïstes
assurèrent-elles une distraction fort véhémente
en faisant de l'oeuvre d'art le centre d'un scandale. Il s'agissait
avant tout de satisfaire à cette exigence : provoquer un
outrage public.