Quels
sont les vrais pouvoirs de la Commission nationale des comptes de campagne et des
financements politiques, chargée de contrôler les comptes des partis et des
candidats aux élections? Alors que l'ancienne comptable de Liliane Bettencourt,
Claire Thibout, affirme que 150.000 euros en liquide ont été remis en 2007 à
Eric Woerth (trésorier de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy) par le gestionnaire de fortune de la milliardaire, Mediapart a
rencontré François Logerot, le président de la Commission (composée de neuf hauts magistrats). Interview.
(Rappel:
les dons d'entreprise sont aujourd'hui interdits; les dons des personnes
physiques sont plafonnés à 7.500 euros par an et par parti, à 4.600 euros pour un
candidat en campagne électorale. Pour les précisions, voir notre article: Comment les partis
politiques se financent.)
Financement politique: trucs, astuces et limites de la commission nationale d... - 0 views
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D'une manière générale, comment la Commission contrôle-t-elle les comptes qui lui sont présentés? Il faut distinguer notre travail, sur les comptes des partis, de celui sur les comptes de campagne, d'une nature très différente. Pour les partis, je préfère parler d'une mission de surveillance. Sur les dépenses, nous n'avons aucun contrôle à exercer: les partis restent des organismes privés, libres de disposer de leurs fonds... Avant de nous être transmis, chaque année, leurs comptes sont certifiés par des commissaires aux comptes, qui vérifient leur régularité formelle: ils s'assurent que les dépenses sont correctement indiquées, selon leur nature; que les dépenses imputées dans le compte donnent lieu à un mouvement financier correspondant... Ils ont à leur disposition les bulletins de paie, les factures, devis, etc. Mais leurs investigations s'arrêtent là. Nous, à la Commission, ne recevons pas ces justificatifs de dépenses. Du côté des recettes, par contre, nous procédons avec les commissaires aux comptes à une surveillance particulière. Il faut d'abord s'assurer qu'il n'y a pas de recettes illicites affichées, tels des dons d'entreprise ou de collectivité publique – ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de financement occulte, sous la table, c'est une autre question... Et puis, il faut vérifier les dons de personnes physiques: les partis nous envoient les souches des «reçus-dons» qu'ils ont distribués dans l'année (c'est-à-dire les «talons» des reçus adressés aux donateurs, avec le montant et l'identité du bienfaiteur); nous vérifions que les plafonds n'ont pas été dépassés, qu'il s'agit bien de dons de personnes physiques... Là, il y a une petite zone d'ombre, parce que les versements peuvent désormais être faits par carte bancaire; or beaucoup d'entreprises ont pour habitude de délivrer des cartes bancaires à leurs cadres (pour des dépenses de représentation professionnelle), où ne figure pas le nom de l'entreprise mais seulement de la personne... Nous sommes donc obligés de nous contenter d'une déclaration sur l'honneur, qu'il s'agit bien d'un compte personnel. Là, il y a une petite zone grise... Etes-vous sûr, au final, de la véracité des comptes des partis? Les commissaires aux comptes sont assermentés, soumis à une déontologie très stricte. Nous, ici, ne sommes pas des irresponsables non plus... Ensuite, on a une certitude... à vue humaine! Il peut y avoir quelque part un montage, que personne n'aurait détecté... C'est possible, mais jusqu'à preuve du contraire, les comptes des partis tels qu'ils nous sont présentés sont en ordre. Les commissaires aux comptes, d'ailleurs, peuvent faire état de réserves, tout en acceptant de certifier les comptes. Lorsqu'une réserve disparaît l'année suivante, ça va... Là où nous sommes un peu inquiets, c'est quand les commissaires répètent leur réserve d'une année sur l'autre... Nous avons eu un cas récent: on s'étonnait que d'année en année 15% du compte ne soient pas justifiés; la troisième année, après avoir attiré l'attention du parti, la Commission a dit que ce dernier n'avait pas respecté ses obligations et a rejeté son compte (entraînant l'interruption des éventuelles aides publiques). Or le Conseil d'Etat, dans un arrêt de mai 2010, nous a dit qu'en l'état de la législation, nous devions accepter le compte... Pour nous, ça a été une déception... De quel parti s'agissait-il? De «Cap sur l'avenir 13», un petit parti du Midi (basé à Marseille).
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Contrairement aux idées reçues, les dépenses des partis n'ont pas explosé ces dernières années... Les partis ont dosé leur effort, en fonction de l'aide publique. Or celle-ci est quasiment bloquée: les 80 millions d'euros d'aide directe étaient déjà là il y a une dizaine d'années... Quelles sont les stratégies des partis pour se financer, au-delà de l'aide directe de l'Etat? Certains ont d'abord cherché à multiplier les adhérents et à recueillir de plus en plus de dons de personnes physiques – notamment l'UMP, dont le bilan en termes de dons est tout à fait impressionnant... D'autres partis comptent beaucoup sur les contributions de leurs élus, comme le PS et le PCF. Les cotisations des membres les plus fortunés atteignent parfois des sommes élevées, qui ressemblent à des dons... Le montant des cotisations dépend aujourd'hui du seul choix des partis. Un «membre bienfaiteur» peut ainsi apporter à la fois un don (jusqu'à 7.500 euros) et sa cotisation (non plafonnée, qui donne lieu à déduction fiscale)... La Commission a donc préconisé – sans qu'il y ait pour l'instant de suite – que le législateur plafonne le cumul «don+cotisation»... Mediapart a récemment rapporté l'existence du «parti de poche» d'Eric Woerth (dans l'Oise), auquel Liliane Bettencourt aurait signé un chèque de 7.500 euros. Des dizaines de «micro-partis» de ce type existent dans l'orbite directe de l'UMP... Or leur multiplication permet aux généreux donateurs de verser non seulement 7.500 euros par an à la «maison mère», mais aussi 7.500 euros à chacune de ces «sous-formations» (qui peuvent ensuite reverser à la caisse du parti central)... N'est-ce pas une violation de l'esprit de la loi? Il faudrait demander son intention au législateur... En tout cas, le législateur a permis que ça se fasse. Pour nous, à la Commission, l'essentiel est que tous ces financements soient dûment transcrits dans les comptes, que la transparence soit assurée. La Commission parlait à ce sujet, dans un récent rapport, d'un «détournement de la loi»... Oui, enfin, le mot «détournement» a l'air de désigner une manœuvre... Si le législateur voulait changer ce dispositif, il aurait tout loisir de le faire... Sa volonté est peut-être, au contraire, de faciliter au mieux le financement de la vie politique par les citoyens... Ce qui peut étonner, dans le cas d'Eric Woerth, c'est aussi que son «micro-parti» bénéficie de donations conséquentes de l'UMP... Le ministre du travail étant trésorier du parti présidentiel, il est donc à l'origine de ces subventions, et à l'arrivée... Chacun peut avoir un sentiment sur ce point; je me garderai de donner le mien... Je note simplement que tout cela est fait dans la transparence, puisque les versements reçus par cette association figurent dans les comptes. J'ai tout lieu de penser que les instances de l'UMP, pas seulement le trésorier, sont au courant de cette situation.
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